Imaginez, depuis votre conception, la programmation d’un spectacle extraordinaire annoncé qu’est votre vie, toute la préparation que représente la gestation, ce moment clé de la naissance où vous êtes attendu(e) d’autant plus que vous avez été désiré(e)… le spectacle commence… et pourtant, la vedette principale arrive parfois en retard, peut évoluer dans un rôle factice sous des costumes et maquillage qui la travestissent totalement, ou le plus terrible, être absente de la scène, cachée en coulisse, derrière les décors…
Vous l’avez peut-être expérimenté ce sentiment de ne pas pouvoir ou savoir investir votre propre vie, d’en être spectateur, d’observer le monde qui tourne, qui avance, et d’être là derrière un rideau virtuel qui vous cache de la scène de votre vie. Parce que cette scène peut faire peur, parce que nous n’osons pas nous mettre au-devant, parce qu’il y a des blocages à se mettre sous la lumière si cela est ressenti comme dangereux… il peut y avoir de nombreuses raisons conscientes, souvent inconscientes, de préférer se mettre sur le côté, de laisser le spectacle de notre vie se jouer mais sans vraiment nous placer au centre de la scène.
Accéder à son autonomie affective pour vivre sa vie
La construction et le passage à la vie adulte, passent notamment par l’autonomie matérielle, c’est-à-dire de pouvoir s’assumer financièrement. Cela semble logique, une fois que l’on est parti du nid familial, que l’on travaille, on vit sa vie, on n’a plus de compte à rendre à nos parents. On est autonome. Si c’était aussi simple, cela se saurait. Il y a aussi l’autonomie affective. Il faut savoir se séparer psychiquement, pouvoir surmonter la première séparation majeure (maternelle) qui prépare aux autres séparations et deuils de la vie. Combien d’hommes et de femmes, à leur insu, n’ont pas coupé le lien, en tous cas le croient parce qu’ils sont justement autonomes financièrement et ont quitté la maison, mais ne sont pas suffisamment libres pour être acteurs de leur vie.
Certaines femmes ont du mal à quitter la protection maternelle parfois étouffante et d’inventer leur propre féminité, ou sont maintenues sous l’emprise toxique de leurs mères qui risquent de s’effondrer si leurs filles les quittent et vivent leur vie de femmes.
Certains hommes ont des carrières à hautes responsabilités, connaissent des succès professionnels importants, mais sont encore liés inconsciemment à leur mère, n’ont pas forcément réussi à s’individualiser, faute d’une bonne identification paternelle, et affectivement sont incapables de s’engager dans une relation adulte, ou sont dépendants affectifs, c’est-à-dire qu’ils ont peur de la séparation et de l’abandon et dépendent totalement des autres.
Accepter les deuils successifs de la vie (sevrage, oedipe, adolescence…)., c’est peu à peu grandir et mûrir. Comme l’écrit le psychiatre Paul-Claude Racamier, "toute croissance est un morceau de deuil, une perte et une peine. La traversée du deuil originaire (perte de la fusion mère-nourrisson) est la condition nécessaire de toute croissance possible. C’est l’autonomie qui est en jeu".
Parfois, nous aspirons à notre autonomie mais ce sont nos parents qui nous bloquent et nous maintiennent dans cette dépendance, parce qu'inconsciemment, ils ne veulent pas nous voir grandir, ils auraient le sentiment de perdre leur rôle de parent, d'être inutiles, alors que c'est essentiel pour leur valorisation et estime personnelles. Il est impératif de travailler soi-même à cette séparation sous peine d'être bloqués dans notre autonomie.
Oser se mettre sous les projecteurs
Nous sommes, sous l’élan de la pulsion de vie, naturellement appelés à l’investir, évoluer, nous autonomiser. Pourtant s’autonomiser, c’est prendre des risques, c’est devenir responsable de nos actes, de nos décisions, c’est potentiellement échouer, tomber, faire des mauvais choix, regretter. Et il faudra assumer. Sommes-nous prêts à assumer ce que nous sommes ? Se cacher derrière des injonctions ou attentes parentales, rester enfant finalement, c’est parfois confortable, c’est au moins l’assurance que l’on se soucie de nous, que l’on sera toujours pris en charge, c’est rester aussi dans notre toute-puissance, quand on a tant besoin d’être le centre de l’attention.
Se mettre sous les projecteurs, c’est nous prendre en main, oser être nous-mêmes avec les risques de critiques potentielles, de décevoir les attentes de nos parents, de sortir du cadre où nous nous étions mis pour plaire à tout prix, pour être aimé coûte que coûte. L’enfant qui avait peur de perdre l’amour s’il n’était pas copie conforme de ce que l’on attendait de lui doit maintenant être rassuré par l’adulte qu'il est devenu. Nous pouvons être nous-mêmes, jouer notre propre rôle, avec notre personnalité, nos désirs, nos choix, notre unicité, sans peur viscérale d’être abandonnés, rejetés, parce que nous ne correspondons plus aux attentes sur nous.
Parfois, implicitement ou explicitement, nous sommes interdits de nous mettre sous les projecteurs de notre scène. Une femme en thérapie réalisa qu’elle avait décidé de se cacher pour laisser briller sa mère qui se positionnait toujours en rivale de sa fille. Sa mère ne supportait pas qu'elle réussisse mieux professionnellement, occupe sa place de femme dans la famille, soit épanouie dans sa féminité, sa sexualité… elle se vivait en concurrente permanente. La petite fille en elle était toujours angoissée de perdre l’amour de sa mère, si elle défusionnait et devenait une femme à part entière.
Sortir de l’auto-sabotage
Nous l’avons vu, pour pouvoir investir notre vie, il faut déjà se délier des relations infantiles qui nous empêchent de grandir et de nous émanciper, il faut également oser prendre des risques à être soi-même, se responsabiliser quant à nos choix et les assumer. C’est comme faire un saut dans l’inconnu, renoncer à toutes nos sécurités du passé et accepter les étapes de deuils, les séparations, renoncer à nos privilèges d’enfants… sortir du syndrome de Peter Pan en quelque sorte. Il y a beaucoup à faire et c’est le travail de toute une vie.
Certains pourtant, sont comme maintenus par une force négative qui les poussent à se saboter eux-mêmes. Le potentiel de leur vie est bien là, ils ont de nombreuses qualités et ressources personnelles, sont souvent brillants mais ne croient pas du tout en eux, ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Il est souvent question de mésestime de soi, de manque de confiance, de ne pas oser croire en soi, de se dire "à quoi bon, je ne ferai jamais rien de bien, ma vie est un échec, je ne ressens aucune fierté…". Travailler son estime de soi est essentiel, mais parfois il faut être vigilant et se poser la question si cette spirale de sabotage n’est une manière, même très négative, d’attirer l’attention, de rester dans une position de victime plaintive à qui la vie ne sourit jamais.
C’est ce que l’on appelle en psychologie les bénéfices secondaires, c’est-à-dire que même dans un comportement, une situation très néfaste pour soi, on a suffisamment de bénéfices inconscients pour préférer y rester et s’y complaire. C’est à notre insu mais c’est redoutable. Pour en sortir, il est essentiel de reprendre la main sur notre vie, de nous responsabiliser, de sortir des excuses : "c’est la faute de la société, de la famille, des collègues, moi je n’y suis pour rien…" ; c’est aussi retrouver la flamme en soi et refuser d’alimenter les pensées toxiques dévalorisantes telles que "je suis trop vieux / vieille, je n’ai jamais eu de chance, la vie est injuste, c’est plus fort que moi, j’échoue quoique je fasse…".
Parfois, pour oser prendre place sous les projecteurs, pour se faire confiance et vivre le rôle de notre vie, il est utile de travailler seul ou en thérapie nos freins, nos peurs, nos mécanismes bloquants voire autodestructeurs, pour enfin être soi, occuper l’espace, oser rayonner sans peur des éventuelles déceptions du "public".