Marc Aurèle (121-180), empereur, philosophe stoïcien et écrivain romain, serait-il pionnier des concepts très actuels de l’instant présent et l’ici et maintenant ? J’ai trouvé parmi ses pensées l’une d’elles absolument géniale, destinée à chacun et chacune à toute époque ! "Efface l’imagination. Arrête cette agitation de pantin. Circonscris le moment actuel. Comprends ce qui t’arrive, à toi ou à un autre. Distingue et analyse, en l’objet qui t’occupe, sa cause et sa matière. Pense à ta dernière heure. La faute que cet homme a commise, laisse-la où la faute se tient".
Efface l’imagination
Il ne s’agit pas de l’imagination qui nourrit la créativité, le rêve, moteur puissant pour le développement de l’enfant et également pour les adultes que nous sommes. Je pense ici à l’imagination, par exemple en tant que capacité à se laisser embarquer par une fiction toxique (pouvant aller jusqu’à la paranoïa), ou lorsque nous projetons inexactement à partir de notre ressenti et non de la réalité de l’autre (en alimentant un scénario douteux qui nous pollue), ou encore quand nous nous créons des angoisses irréelles pour des choses pas encore arrivées… Je l’appelle "le petit vélo", qui se met en marche dans notre tête, en un instant et qui nous mène dans des pensées circulaires dont il est très difficile de se détacher, qui nous décentrent de nous-mêmes… Alors, puisons dans cette sagesse lorsque nous nous sentons embarqués par notre petit vélo qu’il appelle agitation de pantin. Nous sommes souvent dirigés par nos émotions, notre inconscient, telle une marionnette qui ne peut avancer, s’arrêter ou bouger par elle-même. Eckart Tolle l’évoque aussi : "En ne vous identifiant plus à elle (pensée), vous n’alimentez plus le mental. Ceci est le début de la fin de la pensée involontaire et compulsive".
Circonscris le moment actuel
Focalisons-nous sur l’ici et maintenant, ce que nous pouvons faire avec la méditation de pleine conscience ou avec la distanciation, par rapport à ce qui est passé et ce qui adviendra peut-être mais qui n’est pas arrivé. Se concentrer sur le présent est le plus important quand on sent que l’on dérape dans une tristesse, des remords, un regret par exemple ou dans une peur non fondée d’un avenir hypothétique. Eckart Tolle reprend : "même quand l’ego semble se préoccuper du présent, ce n’est pas le présent qu’il voit. Il le perçoit de façon totalement déformée, car il le regarde avec les yeux du passé. Ou bien il le réduit à un moyen pour arriver à une fin, une fin qui n’existe jamais que dans le futur projeté par lui. Le secret de la libération réside dans l’instant présent. Mais vous ne pourrez pas vous y retrouver tant et aussi longtemps que vous serez votre mental".
Comprends ce qui t’arrive, à toi ou à un autre
Comprendre, distinguer, il est en effet essentiel de prendre ce temps de réflexion avant de sur-réagir par exemple, de se poser en observateur, bien en amont de nous-même pour mieux cerner ce qui se passe en nous, mais aussi en l’autre. Répondre à chaud, sortir de nos gonds, nous laisser mener par nos émotions, combien de fois cela arrive au quotidien, quand nous ne sommes pas vigilants. Et de regretter mais trop tard notre réaction ou de se laisser happer par ce petit vélo toxique qui nous plonge dans des sentiments négatifs qui pompent notre énergie vitale. Capter chez l’autre ce qui nous fait réagir est aussi un excellent exercice, parce que si nous réagissons négativement à ce que dit ou fait l’autre, c’est bien souvent un côté de notre personnalité que nous n’admettons pas chez nous, qui est refoulé et qui ne nous laisse pas neutre, donc à travailler.
Pense à ta dernière heure
Dans le contexte de sa pensée, cela m'inspire le fait de cultiver quand c’est possible et selon les circonstances bien sûr, la relativité des événements qui nous tombent dessus, nos difficultés, nos souffrances. Nous ne pouvons pas les changer mais nous pouvons être acteurs dans notre représentation et notre réaction face à ces événements. Relativiser à chaud n’est pas facile, mais parfois, quelques temps après avoir été secoué, nous nous rendons compte que la vague est passée, a déferlé et nous sommes toujours debout, nous avons réussi à surmonter l’épreuve. Je ne dis pas qu’il faille minimiser les épreuves, ou être dans le déni, mais réfléchir, à l’occasion de ces épreuves, à savoir ce que nous pouvons en faire.
La faute que cet homme a commise, laisse-la où la faute se tient
Cela m’évoque la distinction à faire entre la personne qui a commis la faute et l’acte lui-même. Trouver la justesse dans l’appréciation, veiller à éviter le jugement hâtif sur l’autre, cela revient à toujours réfléchir en amont, sur soi, sur l’autre, sur les échos que les actes des autres ont sur nous et donc leur symbolique pour nous. On a beaucoup à apprendre de l’autre en tant que miroir de nous-même.
Cette citation XXIX au livre VII est tirée de ses "Pensées pour moi-même". Marc Aurèle est le dernier des souverains connus sous le nom des "cinq bons empereurs" et le dernier empereur de la Pax Romana, une époque de paix et de stabilité relatives pour l'Empire romain.
Sources : Pensées pour moi-même - Marc Aurèle / Le pouvoir du moment présent - Eckart Tolle