Combien de mères se demandent si elles n’aiment pas trop leur fils et si cela risque d’être étouffant et d’avoir des répercussions sur ses comportements, son identité sexuelle, ses choix d’adulte ? Face à elles, combien de garçons et d’hommes se sentent portés par un mélange d’amour infini et d’admiration pour leur mère mais avec un besoin de détachement, parfois violent, qui peut provoquer chez eux une certaine culpabilité ? Que dire de ce lien si spécial entre une mère et son fils ?
La relation mère-fils, une relation d’amour exceptionnelle
De nombreux hommes ont écrit sur la relation à leur mère et notamment, Roland Barthes, dans son Journal de deuil, témoigne de l’amour qu’il portait à sa mère et de la souffrance face à cette perte à 62 ans. "Une part de moi veille dans le désespoir (…) Ce n’est pas un manque, mais une blessure, quelque chose qui fait mal au cœur de l’amour (…) Tout m’écorche. Un rien soulève en moi l’abandon (…) Je n’arrive pas à investir amoureusement en un être ; tous me sont un peu indifférents. J’éprouve la sécheresse de cœur - l’acédie (…) Comment j’aimais maman : je ne résistais jamais à aller la retrouver, me faisais une fête de la revoir, la mettais dans ma "liberté" ; bref je l’associais profondément, scrupuleusement".
Cette relation unique est, depuis la naissance et jusqu’à la fin de la première partie de l’Œdipe (avant 7 ans), constituée de charme, de séduction et d’amour partagés, éléments nécessaires pour aider l’enfant à bien se développer. A la différence d’une fille, la mère va "être érotisée par son fils à cause des sensations sexualisées que sa féminité éveille chez lui". Il vit de ce fait un attachement très profond pour sa mère. La mère peut craindre, et à tort, de cette relation d’amour très forte que son fils ne deviendra pas un homme (alors que c'est plus lié à l’absence réelle ou affective du père qu’à un amour maternel trop intense), qu’il devienne homosexuel, qu’il reste toujours enfant…
L’amour mère-fils n’est-il pas parfois trop ambigu ?
Le médecin et psychologue Alain Braconnier dédramatise complètement le sujet et cela permet de lever un poids important dans l’imaginaire de la maman : "Une mère n’aime jamais trop son fils. Il y a beaucoup plus de mamans qui ont peur de trop aimer leur fils que de mères étouffantes et fusionnelles. Cet amour rend fort et n’empêche pas, sauf attachement extrême, un garçon de devenir un homme".
D’où vient cette crainte de trop aimer son fils et que cela soit néfaste ? Le petit garçon est très attaché à sa mère et traverse entre 3 et 7 ans l’Œdipe, complexe freudien faisant partie de son développement psycho-affectif normal. Selon Freud, à cette période, le garçon nourrit un sentiment amoureux pour sa mère et une hostilité vis-à-vis de son père. La mère ne doit certainement pas craindre d’être tendre, de câliner et d’embrasser son petit garçon, par peur de favoriser un Œdipe trop fort. S’interdire des comportements trop sexualisés oui bien sûr, mais cela ne veut pas dire s’interdire d’être affectueuse et démonstrative. Etre tendre avec son fils, tout comme un père est invité à l’être avec sa fille, ce n’est pas incestueux, bien au contraire. En revanche, si elle sent une gêne chez son enfant, la mère doit se forcer à contenir son amour même s’il est pour elle sans ambiguïté.
Mère et fils doivent se préparer à des ruptures nécessaires
Chaque garçon vit la crainte de voir sa mère s’éloigner de lui et mourir un jour, et cela durera de manière plus ou moins dissimulée toute sa vie. L’adolescence est une rupture délicate entre eux deux mais nécessaire. Le fils, afin de s’individualiser et construire sa personnalité. La mère, pour s’occuper d’elle, de son entourage, respecter le territoire de son fils sans chercher à le contrôler, le laisser choisir la proximité convenable pour leurs échanges physiques, émotionnels, personnels. Elle doit aussi renoncer à projeter son idéal masculin sur lui. La mère a un rôle essentiel pour permettre à son fils adolescent de se différencier d'elle, sans qu'il ne perde son amour et son estime.
La mère doit également veiller à ce qu’elle ressent dans cette relation forte à son fils. Parfois avec lui, elle peut inconsciemment chercher à combler un manque, un sentiment d’abandon vécu dans son histoire personnelle. Son rapport au masculin, élaboré de ses propres expériences avec les hommes de son entourage (père, frères, relations amoureuses, amis…) va déterminer sa manière d'être dans sa relation à son fils ; les effets négatifs de ces expériences ont des chances d’émerger dans les moments difficiles avec lui. Est-elle trop mère-poule ? Est-elle incestuelle, peut-être plus séductrice qu’elle ne le croit ? Pour Alain Braconnier "un garçon attend que sa mère le comprenne à demi-mot, qu’elle décode ses sentiments. Elle représente un modèle féminin qui ne doit pas lui faire peur, car il lui faudra plus tard le transposer sur d’autres femmes".
En conclusion, il est donc important de ne pas avoir peur ni se limiter dans l’expression de l’amour maternel, tout en ayant conscience des comportements qui pourraient devenir néfastes s’ils étaient mal placés ; ainsi le fils deviendra, au contact de sa mère, fort tout en étant sensible et plus proche de ses émotions. Un garçon s’épanouit dans son évolution grâce à une bonne identification au père, mais également grâce à une image maternelle intériorisée aimante et forte.
Sources : Journal de deuil - Roland Barthes / Mère et fils - Alain Braconnier